Amener le panache d’un grand prix littéraire en prison ?
C’est désormais chose faite. Huit personnes détenues du Centre Pénitentiaire du Pontet se sont engagées dans une aventure prestigieuse : la première édition du Goncourt des détenus 2022. De septembre à décembre, le « club Goncourt » s’est réuni dans la bibliothèque du Centre Pénitentiaire du Pontet, pour lire, écrire, rêver, s’émouvoir, et relever un défi ensemble : la lecture de quinze livres1 en trois mois et le choix d’un.e lauréat.e pour inaugurer cette première édition.
Premier prix Goncourt des détenus : la genèse
À l’initiative du Centre National du Livre (CNL), de l’Administration pénitentiaire, et sous le haut patronage de l’Académie Goncourt, le Goncourt des Détenus s’ajoute aux prix d’ores et déjà existants tels que le prix Goncourt National et le prix Goncourt des Lycéens. La liste des livres en lice pour le prix est commune aux trois groupes de jurés, et les votes sont échelonnés. 31 établissements pénitentiaires de l’Hexagone ont joué le jeu et signé pour ce grand challenge en plusieurs étapes : ateliers au niveau de chaque établissement, des délibérations régionales à mi-parcours (fin novembre), puis des délibérations nationales suivies d’un vote final des jurés représentant chaque région participante (mi-décembre). Le Centre Pénitentiaire du Pontet s’étant positionné comme candidat, les ateliers Goncourt ont éclos dans les murs de la prison.
Les ateliers Goncourt au Pontet, entre les murs vit la littérature
Dans l’écrin intimiste de la bibliothèque du Pontet se sont réunis chaque semaine, deux animatrices (une intervenante de l’association Grains de Lire représentant le SPIP ainsi qu’une journaliste et enseignante de l’Éducation Nationale) et 8 personnes détenues. Les participants se sont scrupuleusement préparés aux différentes étapes de vote, il a donc fallu trouver des moyens d’évaluer, de la manière la plus objective possible, les quinze livres de la liste. Pas une mince affaire ! Une des grilles de notation consistait à attribuer des étoiles aux ouvrages : une étoile pour l’écho que l’ouvrage produit en nous, une pour l’émotion suscitée, une autre si l’ouvrage délivrait un enseignement particulier et enfin une dernière étoile destinée à récompenser l’esthétique, le style d’écriture.
Le groupe était composé de manière hétérogène : des lecteurs aguerris, des lecteurs plus occasionnels et aussi des a priori non-lecteurs. Ces disparités ont été le terreau d’une grande richesse : des rapports à la littérature à la fois tous différents et tous légitimes, la coexistence de grilles de lecture et d’univers intellectuels singuliers.
De ce mélange est née une véritable joie de se retrouver, au fil des pages et des rencontres. Cette bulle d’évasion légale a vu fleurir des partages d’extraits à voix haute, des débats, des coups de cœurs, des jeux d’écriture, des traits d’esprits, des voix brouillées par l’émotion, des rires, quelques poussières dans l’œil ...
Les rencontres auteur.e.s, de nouveaux bourgeons
Que serait un livre sans son auteur ? Sans ses émotions et son histoire, sa focale, son prisme et sa manière de raconter le monde, son parti-pris littéraire ? Pour ainsi dire, pas grand-chose. Ce sont ces coulisses de la création que sont venus chercher les participants lors des rencontres avec les auteur.e.s. Au Pontet, deux rencontres ont pu être organisées en visio avec les autrices Anne Serre (Notre si chère vieille dame auteure) et Carole Fives (Quelque chose à te dire). Les échanges fertiles ont porté sur le contenu des livres : des précisions apportées sur l’histoire, sur le lien plus ou moins fort entre cette dernière et la vie de l’auteur etc., mais pas uniquement. Les curiosités se sont aussi dirigées vers les processus d’écriture et de création unique pour chaque écrivain - et peut-être même pour chaque livre -, les rouages du monde de l’édition, l’importance du duo éditeur-auteur, ou encore les étapes de la promotion d’un ouvrage. Un échange épistolaire s’est aussi créé -par l’intermédiaire d’Hélène, de l’association Grains de Lire- avec l’auteur Emmanuel Ruben, dont l’ouvrage Les méditerranéennes a été très apprécié par le groupe. Ces liens tissés avec les auteurs ont produit un nouveau miel et donné d’autres couleurs aux lectures.
Le franc succès de ces rendez-vous a confirmé le souhait du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) et de l’Éducation Nationale d’offrir un futur aux ateliers Goncourt : un café littéraire sur l’année. Pour ce nouveau chapitre, plusieurs fils rouges : consolider le rapport à la lecture de ceux qui ont déjà ancré leur lien aux livres, et créer les conditions de la rencontre avec cet objet chez ceux dont ce n’est pas le cas. Offrir la possibilité à des personnes détenues plus éloignées du monde des mots, à s’y faire une place, en créant l’envie et en donnant accès à : une synergie et une solidarité de groupe, un espace de non-jugement, d’écoute et de bienveillance, l’apaisement en légitimant la dépose des émotions dans la littérature, des enseignements pluriels, la douceur du partage…
Une goutte d’eau dans l’océan, mais fraîche et réconfortante, comme les mots de René Frégni : « Chaque jour j’ouvrais un nouveau livre, passais à travers les barreaux et m’évadais sur des échelles de mots. J’étais dans tous les coins du monde, partout, sauf dans ma cellule. »
Alice, Enseignante au Centre Pénitentiaire Le Pontet
Dans le deuxième épisode : Le Goncourt des détenus à mi-parcours, se rencontrer et délibérer à Aix-en-Provence
Pour consulter la liste des ouvrages en lice du Goncourt 2022 :
https://www.academiegoncourt.com/prix-goncourt-et-selection-annee
Références des ouvrages cités :
Notre si chère vieille dame, Anne Serre, Mercure de France, 2022
Quelque chose à te dire, Carole Fives, Gallimard, 2022
Les Méditerranéennes, Emmanuel Ruben, Stock, 202